Sept petites lettres
Image: Pinterest
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Les amoureux
Nous sommes le 3 avril 1935, Yvonne a 20 ans. Il est très tôt et elle n’a pas beaucoup dormi. Dehors, le vent fait rage. La pluie mêlée de grêle et de neige tambourine si fort à la fenêtre que la vitre en tremble. Elle a pourtant prié de toutes ses forces pour qu’il fasse beau ce matin, elle a même accroché son petit chapelet bleu durant toute une semaine sur la corde à linge, selon la coutume. Malheureusement, rien n’a servi à rien.
Tant pis! Ce n’est pas grave. Elle a le cœur léger et elle chante tout en se préparant. Aujourd’hui est un grand jour, le plus beau jour de sa vie!
Son trousseau est prêt, sa mère et ses sœurs l’ont aidée à entasser toutes ses choses dans la grosse valise noire : ses vêtements, quelques outils pour la cuisine, la couture et le jardinage, sa bible et son cher almanach dont elle ne se sépare pratiquement jamais. (L’Almanach du Peuple publié au Québec par les éditions Beauchemin chaque année depuis 1870). Durant la journée, la malle sera emportée tout en haut de la côte, dans la grande maison blanche où elle vivra dorénavant avec son bel Albert. Yvonne ne tient plus en place tant elle est heureuse et excitée par la nouvelle vie qui l’attend.
Quelques mois plus tôt, son frère Donat a épousé la sœur d’Albert. C’est là, pendant la soirée, après un quadrille endiablé que, timidement, mais avec tout son cœur, il lui a fait la grande demande. Bien sûr, en choisissant le début avril pour les épousailles, ils s’exposaient aux températures hasardeuses du printemps, mais pour les amoureux pressés, pas question d’attendre l’été. Et puis, il y avait la ferme, les champs à labourer, les animaux à soigner, les patates à semer. Des tas de choses à faire. À faire ensemble.
Ah! Il peut bien neiger, grêler et faire une tempête de tous les diables, elle a le soleil au cœur et rien ne pourra altérer son bonheur. Nous sommes le 3 avril 1935 et aujourd’hui, Yvonne se marie!!
Ce fut de belles noces, mémorables malgré la température. Le violon et l’accordéon marquèrent la cadence jusqu’à très tard dans la nuit. Toutefois, nos tourtereaux s’éclipsèrent tôt dans la soirée. Après tout, ils avaient un doux nid à bâtir!
À partir de ce jour-là, on ne les a plus vus l’un sans l’autre. Faisant absolument tout côte-à-côte, que ce soit pour le travail sur la terre ou pour les loisirs, ils étaient tout simplement devenus inséparables. Pour tout le monde aux alentours et pour tous ceux qui les connaissaient, Albert et Yvonne étaient « les amoureux ».
Ainsi, ils marchèrent main dans la main pendant plus de 20 ans. Mais voilà, une chose manquait encore à leur bonheur : le destin n’avait pas permis qu’ils aient des enfants. Ils entreprirent alors les démarches auprès des instances gouvernementales dans le but d’adopter une petite fille. Leur demande fut acceptée le 15 décembre 1958 alors qu’enfin, on déposa la petite Johanne, entre leurs bras … cette petite fille, c’était moi.
Ils furent des parents extraordinaires et j’ai grandi baignée par cet amour indestructible qui n’a jamais faibli une seule seconde. Quand le parkinson est venu voler la vieillesse de Maman alors qu’elle avait à peine 60 ans, même à ce moment-là, à travers la longue maladie, mon père n’a jamais cessé d’être à ses côtés, pendant des années, chaque jour jusqu’au dernier. Lorsqu’elle est partie, c’était comme si la lumière s’était éteinte dans le cœur de Papa. Il est allé la rejoindre après seulement quelques mois.
Yvonne et Albert se sont aimés d’un amour absolu pendant près de 65 ans.
Même si personnellement, je n’ai pas encore eu le bonheur de le trouver, je sais par expérience que le véritable Amour, celui avec un grand A, existe vraiment. Et si vous, qui me lisez maintenant, avez la chance de connaître cette sorte d’amour-là, prenez-en le plus grand soin, chérissez-le de tout votre cœur, vous êtes des êtres choyés par la vie.
© Johanne Pelletier
"Femme du matin rouge"
"Je prendrai la mer sur un bateau rempli de rêves colorés
Je nagerai dans la rivière rouge des ancêtres
Je suis née femme d’un père chasseur
Et d’une mère qui souffle sur les nuages.
Mon voyage commence avec toi
Dans ma valise il y a mon cœur
Rempli d’espoir et juste l’essentiel.
Mon cœur révolutionne l’amour
Des quatre couleurs !
La paix des quatre vents.
J’ai recouvert le ciel d’un rouge
Flamboyant pour que tu voies
Tout l’amour qui m’habite.
Nous sommes nées
Cœur de femme rouge
Nos visages cuivrés par le soleil des ancêtres
Nos mains liées par le savoir" "..."
Rita Mestokosho, Née de la pluie et de la terre, éd. Bruno Doucey
Livre de poèmes innu, à la galerie HOZHO Visions -www.galerie-hozho.ch
Image: Apiradee Udomsak
Un conte de Natasha Kanapé Fontaine
Ka Petshisstess a été surnommée ici la Petite, parce qu'elle est née tout à fait minuscule. Ses deux parents sont pourtant de très très grands Innus. Rares sont les Innus très très grands.
C'était l'époque où les Innus vivaient désormais dans de grands espaces vertigineux que l'on appelle les grandes villes. Dans ces mêmes grands espaces vivaient les géants blancs ! Ils avaient construit de si grands gratte-ciel que lorsque d'autres créatures étaient malheureusement aspirées par les grandes villes, la plupart avaient le vertige. Il n'y avait que rarement des routes, des escaliers, des maisons à leur taille (de plus, ils n'étaient pas tous de la même !). Ils avaient bien des difficultés à trouver mocassin à leur patte. En hiver surtout, ce rude hiver, les maisons trop grandes étaient très difficiles à chauffer.
Beaucoup d'entre eux ne trouvaient pas non plus un travail à leur hauteur. Ils finissaient souvent par nettoyer les ruelles ou les autoroutes puisqu'ils avaient une meilleure acuité visuelle pour ramasser jusqu'aux plus petits déchets. Mais imaginez la grosseur des déchets des géants blancs ! C'était là toutes les difficultés que vivaient les différentes créatures du monde, surtout depuis que les géants blancs avaient décidé de prendre le plus d'espace possible pour pouvoir vivre confortablement avec tout ce dont ils avaient besoin pour leur bien-être. C'était difficile pour eux de porter attention aux besoins des autres.
Ka Petshisstess ne pouvait pas croire qu'il n'existait pas plus grand qu'eux. En son coeur, elle ressentait qu'il existait déjà quelque chose d'immense qui ferait en sorte que les géants blancs aient de nouveau conscience qu'ils n'étaient pas seuls au monde. Il fallait donc rétablir les perceptions des géants blancs. Ce qui donna une idée à Ka Petshisstess. Elle décida le lendemain matin de faire son minuscule sac à dos. Elle se disait qu'en suivant les légendes sur ses ancêtres innus, elle allait retrouver le chemin qui allait la mener au-delà de la grande ville, puis aux vastes territoires du Nutshimit, le territoire ancestral des Innus.
Le jour de son 14e anniversaire, donc, c'est-à-dire au solstice d'hiver de l'année 20 735 818, elle entama son périlleux périple vers le Nutshimit. Elle se souvenait d'avoir entendu que ses ancêtres étaient de grands marcheurs. Elle marcha donc 300 jours et 300 nuits pour parvenir enfin à l'orée d'une énorme forêt dont elle n'avait jamais vu les arbres. C'est alors qu'elle comprit qu'elle arrivait enfin à son identité.
« Nimushum, disait-elle pour elle-même, aidez-moi à trouver la réponse guérisseuse à ce monde où le déséquilibre est maître et où les créatures d'autres tailles ne peuvent trouver mocassin à leur patte. Je rêve que tout soit simplement juste. »
La femme-ourse lui apparut. Elle était comme dans les légendes. Vêtue de peau d'ours et avec de longs cheveux noirs qui caressaient la neige au sol. « Tout est ici, Ka Petshisstess. L'immensité nous donne tout : de l'eau, de la nourriture, des outils. Toutes les créatures de l'immensité savent qu'elles dépendent les unes des autres pour assurer le confort de tout le monde, ainsi que l'équilibre entre leurs différentes tailles. En fait, chacune de leurs différentes tailles est une richesse. Tout comme les arbres, les plantes, les étoiles, les planètes et même les galaxies sont de diverses grandeurs et petitesses, ainsi sont les créatures du monde. Cependant, les géants blancs ont cru qu'ils étaient des êtres plus intelligents que tous les autres, puisqu'ils sont nés géants. En vérité, ils devaient veiller sur toutes les autres créatures, et surtout les aider à traverser les océans, à transporter les vieux troncs d'arbre tombés pour créer des ponts sur les rivières, à empêcher les ouragans de tout détruire sur leur passage. Ils auraient dû faciliter le monde ; au contraire, maintenant, ils le rendent profondément malheureux puisque l'inégalité n'est pas une chose naturelle. »
Un long silence s'ensuivit. Ka Petshisstess réfléchissait longuement au visage du monde, avec toutes les créatures dedans.
« Mais toi, Ka Petshisstess, tu es née minuscule parce que tu dois apporter l'immensité au monde. »
De minuscules larmes coulaient déjà sur les joues de Ka Petshisstess. À ce moment, la femme-ourse prit quelque chose dans son manteau et le tendit à Ka Petshisstess.
« Voici un pot de graisse d'ours. C'est un vieux remède que tes ancêtres utilisaient pour voir beaucoup plus clair et toujours plus loin, vers l'avant. C'est ainsi que tu pourras amener l'immensité vers ceux qui ne la voient pas. »
Ka Petshisstess prit le pot et le mit dans son petit sac à sa taille. Elle se retourna en saluant la femme-ourse et se mit à marcher de nouveau vers la grande ville.
Elle enduisit la ville de graisse d'ours. Les géants se rendirent compte de tout ce qu'ils ne voyaient pas et de ce qu'ils n'avaient jamais vu. Ils se rendirent compte de tout le mal qu'ils infligeaient aux autres créatures simplement par leur égoïsme et leur vision trouble de l'espace. Ils travaillèrent toutes les années d'après à reconfigurer le monde pour pouvoir aussi conforter les autres créatures du monde et ainsi rebâtir l'équilibre qu'ils avaient détruit, avec l'aide de toutes les créatures.
Ka Petshisstess, maintenant qu'elle connaissait le chemin vers l'immensité, se chargea de son côté de ramener les Innus vers ce territoire qui s'appelle Nutshimit, pour enfin guérir de ce déséquilibre, et ramener l'identité innue.
Qui est Natasha Kanapé Fontaine?
Natasha Kanapé Fontaine est Innue de la communauté de Pessamit. Poète, écrivaine et artiste multidisciplinaire (elle incarne la détenue Eyota Standing Bear dans Unité 9), elle a publié quatre recueils de poésie chez Mémoire d'encrier, et un échange épistolaire sur le racisme entre autochtones et allochtones avec Deni Ellis Béchard chez Écosociété.
Image: Free 4U Wallpapers
Autrefois, la conversation ne s'engageait jamais inopinément, ni dans l'empressement.
Personne n 'était pressé de poser une question, et personne n'était tenu de donner une réponse rapidement.
Avant d'engager ou de tenir une conversation, la véritable courtoisie consistait à accorder une pause destinée à la réflexion. Le silence avait une signification pour le Lakota.
Il accordait un moment de silence à l 'orateur et à lui même avant de prendre la parole, dans le respect de la véritable politesse et de la règle selon laquelle "la pensée précède la parole".
OURS DEBOUT( 1868-1939) Chef Sioux Oglala
Image: Musée National d'histoire naturelle
Il y a longtemps, au temps où le Grand Esprit créa les animaux, il créa des queues de toutes les sortes. Il laissa les animaux libres de choisir celle qui leur plaisait. Il étendit les queues et dit aux animaux de venir choisir chacun la leur.
Chacun choisit sa queue. Le castor avait choisi une belle queue souple avec une belle fourrure. Le lièvre qui était trop occupé à gambader dans les bois arriva le dernier et il ne lui restait plus qu'une petite boule de poils qu'il n'eut pas vraiment le choix de prendre.
Un jour de grande chaleur, il y eu un feu de forêt immense, comme aucun animal n'en avait vu jusqu'alors.
Les castors se dirent : "Mais qu'allons-nous faire si toute la forêt brûle ? Nous n'aurons plus rien à manger et plus rien pour construire nos maisons, plus d'arbres pour faire nos barrages" !!!
Alors d'un commun accord ils se mirent au travail. Ils se mirent à tremper leur queue dans le lac et à la rabattre sur toutes les flammes qu'ils pouvaient voir.
Leur combat contre le feu de forêt dura des jours et des jours... Puis lorsqu'il ne subsista plus la moindre étincelle, tous les animaux se réunirent dans la clairière pour voir ce qu'ils allaient faire maintenant.
Les castors arrivèrent les derniers à la rencontre. Les voyant arriver les autres animaux s'esclamèrent : "Oh !!! mais qu'est-ce qui est arrivé à vos belles queues" ?
Les castors se retournèrent pour regarder leur queue. Ils virent que leur queue n'avait plus aucun poil et qu'elle était maintenant couverte d'une espèce d'écaille dur et qu'elle était aussi devenue toute plate !!!
C'est alors que le Grand Esprit apparut. Il dit aux castors : "Je suis fier, très fier de vous. Vous avez sauvé la forêt et tous les animaux. Pour votre geste je vous donnerai une nouvelle queue, comme celle que vous aviez choisi, si vous le voulez. Mais si vous décidez de gardez cette queue là, alors tous se souviendront en vous regardant de la grande bravoure et comment vous avez combattu le feu de forêt."
Les castors réfléchirent quelques instants et répondirent au Grand Esprit : "Nous avons choisi de garder nos queues telles qu'elle sont. Ainsi, de génération en génération on racontera l'hisoire des castors et tous se souviendront de nous."
"Alors, c'est bien. Qu'il soit fait selon votre désir." dit le Grand Esprit.
C'est ainsi que de génération en génération se raconte la légende du castor.
Source: Légende Métisse
Image: Musée National d'Histoire Naturelle